La vraie surprise et gagnante de ces Grammy Awards est sans conteste Esperanza Spalding. En compétition avec le rappeur Drake et l’idole des pré-pubères, Justin Bieber, dans la catégorie « Artiste Révélation », personne n’aurait parié un dollar sur son nom et pourtant ! L’annonce de sa victoire a pris tout le monde de court, ravi les mélomanes et suscité une vague de colère et de dénigrement sur le net, des fans de Justin Bieber qui ne comprenaient pas qu’une « inconnue avec une musique ringarde » puisse « voler » le prix destiné à leur idole tellement » cool et beau »:))
Le victoire d’Esperanza Spalding est une note d’espoir, dans une industrie musicale hyper formatée, dominée par des genres pop-rock-electro et hip-hop RnB hyper dégraissés, pour écoute facile, dont la cible marketing reste les moins de 20 ans et caractérisée par l’utilisation à outrance de l’informatique et du vocoder, qui de fait permet à tous de donner l’illusion de savoir chanter. Elle montre qu’il est encore possible malgré tout d’être une artiste authentique, qui propose une musique de « musiciens » mature, prenant des risques et explorant des univers divers. Le talent et une carrière pour simples arguments, là où on confond ce même talent avec un tube, le nombre de disques vendus, la notoriété, les collaborations avec « le » producteur du moment. Ici, pas de beauté artificielle ni de look travaillé (certes, Esperanza se distingue par sa dense chevelure crépue en afro, mais au moins ce sont ses cheveux naturels, là où il y a pléthore de clones avec brushing, tissages, perruques), pas de buzz créé sur internet, ni de scandale provoqué (du type sex tape, attitude trash ou autre), uniquement la concentration sur la musique.
La seule incongruité de cette victoire reste le fait qu’Esperanza soit gagnante dans la catégorie « révélation », alors qu’elle a déjà 3 albums à son actif, suscite l’admiration des plus grands musiciens (Prince et Stevie Wonder ne jurent que par elle), a joué à la Maison Blanche et à Oslo, lors de la remise du prix Nobel de la paix au président Obama. Mais bon, après tout ce que j’ai écrit plus haut, on peut comprendre que pour le grand public, elle soit une totale inconnue.
Mais au fait qui est Esperanza Spalding?
Chanteuse et contrebassiste(mais aussi compositrice-productrice) de 26 ans, Esperanza Spalding marie le jazz au classique, la soul ou la bossa avec groove et grâce, tout cela en version trilingue (anglais-portugais-espagnol) . Elle a un parcours édifiant : à 16 ans, elle vit déjà de la musique ; à 20 ans, elle est prof de contrebasse, benjamine des enseignants à la Berklee College of Music de Boston, la plus prestigieuse des écoles de jazz américaines (et donc du monde).
Douée, précoce, hyperactive, elle joue du classique à l’oreille et compose. Elle dévore la musique.
« Le violon n’était pas mon seul instrument, j’ai joué du hautbois, de la clarinette, du piano, de la guitare. Plus que les instruments, j’aimais les sons, je voulais les toucher, les manger, les comprendre. Adolescente, j’étais dans le monde de la musique classique, je ne connaissais rien au jazz. Mais le jour où j’ai touché une contrebasse, j’ai ressenti la vibration incroyable de cet instrument : on l’embrasse et le son nous enveloppe. Mon prof m’a montré une ligne de blues et comment improviser. J’ai trouvé là une absolue nouveauté pour moi : la création spontanée. »
En 2010, elle sort Chamber Music Society, son troisième album qui reflète son inspiration kaléidoscopique et son scandaleux talent. Elle est contrebassiste, mais Chamber Music Society n’est pas un album d’instrumentiste, plutôt celui d’une chanteuse à la voix claire qui volette et fuse dans les aigus. Des chansons entre brise et bourrasque qui dépassent le jazz pour initiés, évoquent parfois la soul classieuse de Roberta Flack, les romances de Broadway ou le Brésil polyphonique du Quarteto Em Cy – avec la liberté de tout mélanger.
« Pendant des années, j’ai étudié le classique. Puis avec la basse, je suis passée au jazz, au funk, aux musiques pop. Et j’ai compris que les deux étaient liés : orchestre de chambre ou combo de jazz, on partage avec l’auditeur une musique intime, comme une conversation. Pour cet album, j’ai voulu combiner ces univers dans lesquels je me sens à l’aise. » Très à l’aise même, funambule qui danse sur les cordes d’un orchestre de chambre puis dévale celles de sa contrebasse avec un groove irrésistible.
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Site web offciel : esperanzaspalding.com
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